les ondes

1. présentation

Le concept d’onde est l’un des plus universels de la physique mathématique. Ce dernier, élaboré au XVIIe siècle, est né de l’observation d’un phénomène des plus ordinaires: la propagation d’ondes ou de rides à la surface de l’eau . Alors que le concept d’onde envahissait progressivement tous les domaines de la physique, se développait l’étude de ses propriétés proprement mathématiques, étude liée aux travaux du XVIIIe siècle sur les équations aux dérivées partielles. En dehors des rides à la surface de l’eau, archétype pédagogique, le concept d’onde permet de parler en termes physico-mathématiques de phénomènes aussi divers que le son (ondes sonores considérées comme des ondes de pression se propageant dans l’air), ou que la lumière (de nature électromagnétique, combinaison de deux champs, électrique et magnétique, dont le couplage est régi par les équations de Maxwell). On parlera également en termes d’ondes de la propagation des ébranlements dans les solides; dans ce cas, il peut s’agir soit d’une onde de compression (modélisée par la compression des «ressorts» liant les wagons d’un train, se propageant d’un bout à l’autre du train lorsqu’on y accroche une locomotive), soit d’ondes d’oscillation, lesquelles peuvent être soit longitudinales (les atomes vibrant alors le long de la direction de propagation), soit transversales (les atomes vibrant dans un plan perpendiculaire à cette même direction). Par exemple, les ondes sismiques qui se propagent dans la croûte terrestre lors d’un tremblement de terre sont de compression et d’oscillation. Toujours dans le domaine classique, on parlera d’ondes de choc pour désigner le sillage qui accompagne le mouvement d’une source émettrice d’ondes: sillage d’un bateau sur la mer, bien sûr, mais également sillage sonore d’un avion se déplaçant à une vitesse supersonique ou sillage (dit de Cerenkov) d’une particule chargée en mouvement rapide.

2. histoire du concept d’onde

La signification du concept d’onde ne peut se comprendre sans référence à l’histoire: il n’est pas né armé de toutes ses propriétés, prêt à l’«usage» que nous en faisons aujourd’hui; il a été forgé au cours de l’histoire de la physique, par ajouts et rectifications successifs. On peut distinguer, dans ce développement, trois temps forts.

Naissance du concept

«Quand on considère», écrit Christiaan Huygens dans son Traité de la lumière (1690), «l’extrême vitesse dont la lumière s’étend de toutes parts et que [...] quand il en vient [des lumières] de différents endroits, même de tout opposés, elles se traversent l’une l’autre sans s’empêcher, on comprend bien que, quand nous voyons un objet lumineux, ce ne saurait être par le transport d’une matière, qui depuis cet objet s’en vient jusqu’à nous ainsi qu’une balle ou une flèche traverse l’air [...]. C’est donc d’une autre manière que [la lumière] s’étend, et ce qui nous conduit à la comprendre, c’est la connaissance que nous avons de l’extension, du son dans l’air». Le concept d’onde a donc pour origine une critique de la conception corpusculaire de la lumière, laquelle ne permet pas de comprendre le fait que deux «lumières» se croisent sans en être affectées, contrairement à ce qui se passe pour deux particules qui rebondissent l’une sur l’autre lorsque leurs chemins se croisent.

Le nouvel état de mouvement que représente le concept d’onde est décrit par Huygens par référence aux connaissances sur la propagation du son: «Nous savons que par le moyen de l’air, qui est un corps invisible et impalpable, le son s’étend tout à l’entour du lieu où il a été produit, par un mouvement qui passe successivement d’une partie de l’air à l’autre, et que, l’extension de ce mouvement se faisant également vite de tous côtés, il se doit former comme des surfaces sphériques qui s’élargissent toujours et qui viennent frapper notre oreille... Ce mouvement imprimé à la matière est successif et par conséquent il s’étend par des surfaces et des ondes sphériques: car je les appelle ondes, à la ressemblance de celles que l’on voit se former dans l’eau quand on y jette une pierre...» Cette description, pour conforme à l’intuition qu’elle soit, ne permet pas de comprendre ni ce qui a motivé l’invention du concept – à savoir le fait que deux lumières ne s’entrechoquent pas –, ni par quel mécanisme ce mouvement étendu s’entretient. Aussi Huygens ajoute-t-il à sa description phénoménologique deux «principes» explicatifs.

– Le principe dit aujourd’hui de superposition : les ondes «se traversent l’une l’autre sans s’empêcher» et «s’unissent de sorte que sensiblement elles se composent en une seule onde».

– Le principe dit, aujourd’hui encore, de Huygens : les ondes s’auto-engendrent par multiplication, le produit de deux ondes étant encore une onde. «Autour de chaque particule de la matière dans laquelle l’onde s’étend, [il se fait] une onde dont cette particule est le centre» (fig. 1). L’onde en un point donné est la superposition des «ondelettes» émises par les divers points.

L’onde devient un concept physico-mathématique

 La physique de Huygens est une physique sans équation, une représentation géométrique sans échelle et sans mesure. Il faut attendre le XIXe siècle pour que, avec Thomas Young et Augustin Fresnel, les ondes deviennent mesurables, par leur longueur d’onde, et calculables, par l’introduction du concept d’amplitude complexe. 

La principale difficulté présentée par la conception de Huygens se situe dans l’interprétation, à l’intérieur même de l’énoncé du principe de superposition, de l’expression «se composent en une seule onde». Très vite, il est apparu que cette composition n’était pas la pure et simple addition de deux nombres «ordinaires». En effet, on observe que deux ondes se superposant en un même point peuvent donner soit un renforcement, soit une diminution de l’intensité (lumineuse, par exemple). Ce phénomène est désigné sous le nom d’interférence, terme qui marque bien la différence de nature entre cette «addition» et l’addition des nombres réels: au lieu de rester identiques à elles-mêmes, comme c’est le cas lors de l’addition de deux grandeurs réelles, les ondes interfèrent entre elles; tout se passe comme s’il y avait influence mutuelle . 

Dans son célèbre Mémoire sur la diffraction (1819), Fresnel propose de considérer l’addition des ondes sur le mode de celle des forces, c’est-à-dire comme une addition de vecteurs: «... l’onde résultant du concours des deux autres, écrit Fresnel, répond exactement, pour son intensité et pour sa direction, à la résultante de deux forces égales aux intensités des deux faisceaux lumineux, et faisant entre elles un angle qui soit à la circonférence entière comme l’intervalle qui sépare les deux systèmes d’ondes à la longueur d’une ondulation». Cette phrase, un peu difficile à comprendre, marque une révolution dans la représentation des grandeurs physiques. Jusqu’alors, en effet, une grandeur qui n’était pas purement géométrique était assimilée à un nombre réel; Fresnel, lui, établit que les ondes ne peuvent être représentées que par ce que nous reconnaissons, après coup, comme étant des nombres complexes , ou imaginaires comme l’on disait à l’époque; «après coup», car l’«invention» des nombres complexes par Carl Friedrich Gauss date de 1831. C’est l’amplitude ondulatoire, nombre complexe muni d’une phase , qu’introduit Fresnel par la phrase citée plus haut . Cette phase j est présentée comme l’angle que font les deux «forces» à combiner; angle d’une nature particulière toutefois puisqu’il est défini non pas comme l’angle de deux droites, mais par la valeur de son rapport «à la circonférence entière», autrement dit par son rapport au tour complet: 2p. Transcrite en termes modernes, la phrase de Fresnel se lit simplement: 

j/2p=d/l

l désigne la «longueur d’une ondulation» – encore appelée la longueur d’onde – et d «l’intervalle qui sépare les deux systèmes d’ondes», la différence de marche, dirions-nous aujourd’hui.
Ce faisant, Fresnel introduit une échelle dans la notion d’onde, échelle qui justement faisait défaut antérieurement. La longueur d’onde est la longueur caractéristique, l’aune à laquelle doivent être référées toutes les longueurs à considérer dans le phénomène de propagation. Après 1809, les expériences portant sur les ondes se ramèneront toutes à des mesures de longueur d’onde.
Dès lors, le concept d’onde est établi en tant qu’objet physico-mathématique; une onde est caractérisée par son amplitude, nombre complexe dont le module est lié à l’intensité et dont la phase régit les combinaisons avec d’autres ondes. À partir de ce moment, les ondes acquièrent un statut ontologique, comparable, bien qu’en un certain sens opposé, à celui des particules.

(encyclopédie Universalis)

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